Erreur de l’Etat en votre faveur : mais où est donc passé l’argent ?

A la suite d’une décision du Conseil Constitutionnel, l’Etat a dû rembourser une partie de la taxe foncière. Une compensation qui devait être restituée aux contribuables mais qui a été confiée… aux communes, laissant donc à ces dernières le soin de trouver les modalités pour rembourser les habitants… ou pas !  Explications.

Episode 1 : une taxe d’habitation supprimée ? Oui, mais pas pour tout le monde !

En 2021 et 2022, la suppression de la taxe d’habitation s’est accompagnée d’une compensation par l’Etat à l’euro près pour ce que percevaient les communes.

Toutefois, les lois de finances pour 2021 et 2022 ne prévoyaient pas de compensation pour la partie de taxe d’habitation perçue directement par les syndicats de communes.

Rappel : un syndicat de communes, c’est quoi ?

C’est un établissement public de coopération intercommunale qui associe des communes en vue de mutualiser des prestations de services d’intérêt partagé ; c’est-à-dire une structure qui permet de faire à plusieurs communes ce qu’une commune aurait du mal ou moins d’intérêt à faire toute seule : par exemple gérer l’assainissement d’un territoire, acheter de l’énergie à prix négocié, installer et entretenir l’éclairage public, gérer les ordures ménagères ou la restauration collective, etc.

Un très grand nombre de communes adhèrent en effet à un ou plusieurs syndicats de communes pour mutualiser leur action dans tel ou tel domaine. Elles versent ainsi chaque année aux syndicats auxquels elles adhèrent une contribution pour que ceux-ci puissent mener à bien leurs missions.

Mais un grand nombre de municipalités ont fait le choix de “fiscaliser” les dépenses liées au syndicats auxquels elles adhèrent, c’est-à-dire que ces dépenses ne sont plus prises directement en charge par le budget communal (lui-même alimenté par la taxe foncière et la taxe d’habitation), mais que ces syndicats se servent directement sur les feuilles d’impôt des habitants des communes concernées (colonne “Syndicats”).

Or pour les habitants de ces communes, voici ce qui s’est passé : pour compenser le trou dans la caisse des syndicats de communes induit par la suppression progressive de la taxe d’habitation, le produit manquant de taxe d’habitation a été reporté sur… la taxe foncière et la CFE (contribution foncière des entreprises) qui ont donc fortement, voire très fortement augmenté.

Nous avons ainsi recensé l’exemple d’une commune pour laquelle le taux de taxe foncière part syndicale est passé de 5,93% en 2020 à 9% en 2022, soit une augmentation de 51,77% en deux ans !

Et ce n’est pas fini… On peut en effet s’attendre pour 2023 à une nouvelle hausse du taux de taxe foncière du fait de la suppression totale de taxe d’habitation pour la dernière tranche, probablement pour arriver à un taux proche de 10%, auxquels vont naturellement s’ajouter les 7% de revalorisation des bases…

Donc, pour cet exemple, on aurait sur 3 ans, une augmentation de cette taxe de l’ordre de 68% !

Episode 2 : le Conseil constitutionnel tente de rétablir l’égalité des citoyens devant l’impôt

Le Conseil Constitutionnel a jugé à l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité en mars 2022 que l’Etat devait, en sus de la part communale de taxe d’habitation, également compenser la perte de la part syndicale de taxe d’habitation, et donc rembourser celle-ci (Voir la décision du Conseil Constitutionnel et notamment son article 12 “Il résulte des travaux parlementaires que, en instaurant ce mécanisme correcteur, le législateur a entendu compenser intégralement le produit de la taxe d’habitation perdu par les communes et assurer ainsi que la suppression de cette taxe ne se répercute pas sur d’autres impôts locaux au détriment du pouvoir d’achat des contribuables communaux que la réforme visait à améliorer par cette suppression.” et 15 : “Dès lors, compte tenu de cet objectif qu’il s’est assigné, le législateur a méconnu, par les dispositions contestées, le principe d’égalité devant les charges publiques. Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, ces dispositions doivent donc être déclarées contraires à la Constitution.”)

Episode 3 : l’Etat rembourse les communes… au lieu de rembourser les citoyens

Pour tenir compte de la décision du Conseil Constitutionnel, la Loi de finances rectificative pour 2022 dispose en son article 11 que le taux versé aux communes pour la compensation de la taxe d’habitation “est majoré, le cas échéant, du taux syndical de taxe d’habitation appliqué en 2017 sur le territoire de la commune”. C’est-à-dire que la commune doit percevoir une surcompensation correspondant à l’augmentation du taux de taxe syndicale.

Pour des raisons à éclairer, ce n’est pas le payeur – c’est-à-dire le contribuable – qui est remboursé, mais la commune.

Et l’Etat a ainsi fait parvenir aux communes concernées une surcompensation non négligeable qui a boosté leurs recettes.

Pour l’exemple, une commune de 3 000 habitants avec environ 1 300 propriétaires a vu lui parvenir un chèque de l’Etat de 185 000 €, soit plus de 140 € (en moyenne !) indûment prélevés dans la poche des contribuables puisque, comme le dit le Conseil Constitutionnel, la suppression de taxe d’habitation NE DOIT PAS se répercuter sur d’autres impôts locaux au détriment du pouvoir d’achat des contribuables.

L’Etat a ainsi reversé une compensation à la commune non pas pour gonfler son budget de fonctionnement mais bien pour rembourser un prélèvement qui a été jugé anticonstitutionnel. Car la commune n’a pas été impactée par la non compensation de la part syndicale : ce sont uniquement les contribuables concernés qui l’ont été.

Episode 4 : à présent, que vont faire les communes ?

Les communes concernées (plus de 2 000 en France, tout de même !) ont donc perçu en 2022 un supplément de recettes qui aurait dû, en toute logique, être reversé d’une façon ou d’une autre aux contribuables ayant payé « par erreur » un supplément de taxes foncières.

C’est en effet la seule façon de rétablir le principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant l’impôt.

Par ailleurs, cette compensation de l’Etat n’est pas ponctuelle pour 2022 : elle va revenir, année après année, pour corriger les effets de l’« erreur originelle ». Tous les ans, les contribuables des communes concernées paieront une taxe foncière “gonflée” et tous les ans, les communes concernées percevront à leur place les compensations de l’Etat !

Alors… que vont faire les communes concernées ?

Pour rétablir la situation et l’égalité des citoyens devant l’impôt :

  1. elles peuvent décider de subventionner les syndicats concernés à hauteur de la compensation reçue par l’Etat. Ainsi, ces syndicats pourront réduire d’autant les hausses de taxes foncières auxquelles ils avaient dû procéder, et les citoyens seront remis « à égalité » devant l’impôt ;
  2. elles peuvent décider, pour le futur, de modifier les taux communaux de taxe foncière d’un nombre de points équivalents à la hausse de la part syndicale : ainsi, les contribuables seront remboursés à droite de ce qu’ils auront payé à gauche et, là encore, les citoyens seront remis « à égalité » devant l’impôt ;
  3. elles peuvent enfin ne rien faire : mais cela équivaudrait à encaisser chaque année une surcompensation qui ne leur est pas destinée, bref, à augmenter les impôts… sans le dire !

Conclusion : ce que nous allons faire…

Des débats ont déjà eu lieu dans une commune en France, sans doute les prémices de bien d’autres débats dans bien d’autres communes. L’opposition municipale a ainsi demandé lors du Conseil que, d’une façon ou d’une autre, l’argent indûment prélevé soit bien restitué aux habitants : mais la majorité a refusé, arguant que cet argent serait bien utile pour faire face à la hausse de la facture énergétique locale… Il s’agit malheureusement bien là de la troisième solution évoquée plus haut : une façon d’augmenter les impôts… mais sans le dire.

L’opposition municipale a donc décidé d’attaquer le budget de la commune au tribunal administratif et de déposer en parallèle auprès du Conseil constitutionnel une Question prioritaire de Constitutionnalité (QPC).

Nous allons naturellement les conseiller, informer les médias de ce sujet qui concerne des milliers de communes et des millions de contribuables et, bien sûr, vous tenir informés.